
Confréries
Le nécessaire renouveau des confréries
Les confréries étaient au moyen-âge et jusqu'à l'aube des temps révolutionnaires, la forme standard de la piété pour les laïcs. Elles se situaient entre les structures établies d'organisations politiques et religieuses d'une part, et les groupes naturels comme la famille, d'autre part. On a aujourd'hui une vision folklorique de ces associations ; qu'il s'agisse de leurs formes les plus dégénérées comme « Confrérie de la cerise » ou « Confrérie des chevaliers du taste-vin » ou plus authentiques, des quelques confréries de pénitents qui maintiennent vivante une tradition à fond religieux plus ou moins prononcé. Dans tous les cas, on songe : procession, costumes, fêtes locales.
Il ne s'agit pas ici de s'illusionner sur le mouvement confrérique tel que l'histoire nous permet de le saisir. Bien des confréries avaient un aspect très majoritairement social. Dans les sociétés organiques, tout se structurait autour de liens collectifs : collectivités diverses dans lesquelles l'individu trouvait sa place. Guildes et corporations professionnelles relevaient d'un dispositif très voisin. Toutefois on doit noter l'apparition précoce, dans ce mouvement multiforme, de confréries de dévotion dont le rôle était essentiel, en tant que cadres et expressions privilégiées d'une religiosité laïque. De la même façon, la constitution de l'ordre chevaleresque offrait aux jeunes nobles un idéal à la fois moral et spirituel, idéal où la force – y compris physique – trouvait une place. Les ordres militaires créés en Terre sainte (hospitaliers, templiers, teutoniques...) ont permis d'amplifier encore ce mouvement.
Le concile de Trente (1542) dans sa volonté d'affirmer la vérité contre l'hérésie luthérienne devait mettre l'accent sur le rôle spécifique et central du prêtre ; avec comme conséquence involontaire un délaissement des laïcs et de leur chemin spirituel propre. La « renaissance » puis les « lumières » allaient pour leur part élargir ce fossé, jusqu'à en faire un gouffre. Gouffre qui sera exploité par différents mouvements, dont des sectes comme les loges maçonniques.
Dans le combat pour la reconstruction de la civilisation chrétienne, il est impératif de reconstituer de semblables structures. En effet comme nous l'avons dit, ce long cheminement doit préalablement passer par un renouveau spirituel. De ce renouveau pourront naître des soldats pour la bataille intellectuelle et artistique qui doit nous donner la victoire. Par ailleurs, on ne peut que constater l'inadéquation de l'organisation paroissiale pour mener ce combat pour de multiples raisons.
Tout d'abord tout catholique ne peut que constater le rôle de pivot que joue le prêtre dans ces regroupements locaux. Or nous l'avons dit, ce combat, c'est là œuvre de laïcs. D'autre part l'immense éventail des sensibilités des fidèles rend illusoire toute convergence à court et moyen terme. Enfin – last but not least – structure avant tout géographique, la paroisse ne demande ni ne requiert d'engagement du fidèle qui peut en changer, soit pour des raisons légitimes (déménagement) soit pour convenance personnelle ! Or il existe un lien profond entre le serment, l'engagement que prononce le confrère et l'inclination, l'attachement au vrai. Dans l'effort pour la restauration de la cité chrétienne, c'est l'amour de la vérité qui doit être au cœur du combat !
On peut donc dire sans exagération que la confrérie est aujourd'hui le meilleur moyen pour chaque catholique de s'appliquer à suivre la magnifique assertion du Christ : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi ».
Fort heureusement on commence à voir le début d'un tel mouvement de retour à la tradition, soit par la réactivation d'anciennes confréries, soit par la naissance de nouvelles.
Les confréries et la défense de la foi au XIIe et XIIIe siècles
La question du rôle et de la place des laïcs dans la défense de la foi est un problème récurent de l’Église catholique. Chaque époque a donné des réponses plus ou moins adaptées à la situation générale. Ainsi au cours des XIIe et XIIIe siècles se développèrent des confréries de laïcs destinées à la défense de la Foi et de la Paix si nécessaire par les armes.
Ces associations ont été créées parfois sur l’impulsion des évêques comme à Albi en 1243, mais souvent dans l'orbite des ordres chevaleresques du Temple ou de l’Hôpital.
Elles ont visé à la défense de la foi contre l'ennemi intérieur – le dissident, l’hérétique –, mais aussi contre un ennemi extérieur spécialement à la lutte conduite contre les musulmans dans le contexte des croisades en orient, comme en Espagne.
On a parfois pensé que le recrutement des confréries ou confraternités était exclusivement aristocratique, mais l'étude des sources montre et que celles-ci ont souvent paru socialement assez ouvertes. Ces mouvements multiformes inspirés par l’idéal de défense de l’Église et de la paix se retournèrent parfois contre l’élite sociale.
Si l'on veut faire une typologie rapide de ces association on peut distinguer la confrérie qui est un groupement de fidèles qui partagent un but commun. Les membres se conforment, non à une règle religieuse, mais à des statuts. Il s’agit donc d’une véritable institution, dotée à l'époque d’une personnalité juridique et d’une hiérarchie et qui, assez souvent, possède, un lieu de réunion et des biens propres. La confraternité se place plutôt dans la lignée des associations de prières liées à des établissements religieux existants ; les membres participant ordinairement aux services spirituels et matériels prodigués par les religieux.
Des defensores ecclesiæ aux confraternités de milites
Dès les temps carolingiens, compte tenu des désordres des temps, monastères et églises se sont dotés d'un bras armé chargé dans un premier temps de leur propre défense et nombreux furent les milites à s’affilier au monastère, entre la fin du Xe et le début du XIIe siècle. Si le Midi et la Provence furent en France à l'avant-poste de ce mouvement c'est sans doute sous l'influence d'associations similaires fondées en Espagne dans le cadre de la Reconquista. Ainsi dès 1090, l’archevêque Berenguer de Vic rassembla des chevaliers dans une confrérie afin de faciliter la conquête de Tarragone. Pas important dans la dynamique de spiritualisation de la chevalerie. L’expérience fut poursuivie par la monarchie puisqu’on attribue au roi d’Aragon, Alphonse Ier le Batailleur, la fondation de deux confréries chevaleresques, en 1122 puis en 1124. C'était les prémices des ordres chevaleresques qui allaient apparaître en Terre Sainte : l'Ordre du Temple fut reconnu en 1129 au concile de Troyes. Si l'Ordre du Temple fut essentiellement aristocratique, on peut à l'inverse citer la confrérie (confraternitas) du Saint-Esprit d’Acre dont a conservé les statuts de 1216. Il s’agit, une fois encore, d’une véritable confrérie qui soumettait ses adhérents à un droit d’entrée et les incitait à pratiquer la charité mutuelle à l’égard des confrères malades ou captifs. Les statuts obligeaient les adhérents à porter les armes. Ce genre de société engagée dans la défense de la terre chrétienne n’a rien d'aristocratique, mais constitués de gens du commerce et de l’artisanat – dans ce cas précis des communes de Lombardie et de Toscane.
En Provence se répandit alors la création de confraternités liées aux ordres chevaleresques. L’attachement aux frères guerriers ouvrait ainsi surtout à l'aristocratie provençale la voie à un engagement armé en Terre sainte, éventuellement comme milites ad terminum ; pratique révélatrice de l'adhésion à la mentalité de croisade déjà perceptible en Provence dans la période antérieure.
Élargissement des bases sociales des associations armées
Mais le mouvement ne se limitait pas à la seule aristocratie comme le montre la création de la confrérie des Capuchonnés fondée au Puy en 1182, par un homme que les chroniques présentent comme un pauvre charpentier. L'objectif de la confrérie outre son aspect religieux était de pacifier les campagnes du Massif central parcourues par les routiers.
Caractérisée par une ouverture sociale assez large tout en écartant les plus pauvres, cette milice de « paciferi » essaima dans toute la France du centre et du Sud-ouest. Après avoir remporté quelques succès contre les mercenaires, elle s'orienta vers la contestation anti-féodale, en dépit des efforts d’encadrement de l’Église, et fut rapidement dispersée par la réaction seigneuriale.
Parallèlement, entre la fin du XIIe et le milieu du XIIIe siècle, on trouve des milices, rattachées aux diocèses, destinées à faire respecter les statuts de paix dans toute la France du Sud-ouest et du centre. C’est, sans doute, dans la continuité de ces expériences communautaires « paciaires » qu’il faut comprendre les confréries fondées au cours du XIIIe siècle dans le cadre de la lutte contre l’hérésie dont on considérait qu'elle remettait en cause la paix sociale.
Une des mieux connues apparut à Toulouse en 1209, au début de la croisade albigeoise. L’évêque Foulque de Marseille fonda une confrérie blanche (confratria candida) pour purger la ville de l’hérésie et de l’usure. Les confrères étaient unis par serment et « consacrés » par le signe de la croix. Les confrères, qui auraient été au nombre de 5 000 – c'est à dire la quasi totalité des habitants de la ville – , et ils apportèrent une aide militaire décisive à Simon de Montfort lors de la prise de Lavaur en mai 1211.
Portée du militantisme confraternel
Ces nombreuses fondations s’inscrivent dans le projet pontifical, porté notamment par Innocent III, de l’enrôlement, contre l’hérésie, de toute la société chrétienne. Cette nouvelle catégorie de confréries armées se constitue donc encore dans une atmosphère de guerre sainte indissociable de l’idéal de paix. Le couple fides et pax, qui a inspiré les vocables de deux milices, se retrouve dans de multiples prescriptions conciliaires et pontificales. Dans le Midi, en Provence comme en Italie, on retrouve partout la même aspiration à impliquer la population dans la moralisation de la société, notamment par la lutte contre les violences de toutes sortes et contre l’usure.
Pour conclure, on peut affirmer que ces mouvements furent à la convergence d’aspirations spirituelles que l’on retrouve, plus ou moins dans tous les cas connus : idéal de la vie apostolique, valorisation de la pénitence sous toutes ses formes, idéal de paix et sacralisation du combat pour la foi. La question du recrutement montre que si ces confraternités et confréries purent accueillir des éléments non nobles parfois en grand nombre, elles véhiculaient une véritable éthique aristocratique.