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La liquidation des paysans écossais au XIXe

Dernière mise à jour : 7 déc. 2022

La première révolution industrielle a produit un exode des paysans anglais, contraints par les enclosures de rejoindre l'armée des prolétaires dans les grandes villes industrielles. L'industrialisation se poursuivant, le même phénomène s'étendit à l'Écosse. Karl Marx a parfaitement décrit ce phénomène de privatisation qui n'est pas sans rappeler la situation actuelle de nos paysans!

Au XIX° siècle, on a perdu jusqu'au souvenir du lien intime qui rattachait le cultivateur au sol communal : le peuple des campagnes a-t-il, par exemple, jamais obtenu un liard d'indemnité pour les 3.511.770 acres qu'on lui a arrachés de 1801 à 1831 et que les land-lords se sont donnés les uns aux autres par des «bills de clôture» ?
Le dernier procédé d'une portée historique qu'on emploie pour exproprier les cultivateurs s'appelle clearing of estates, littéralement : «éclaircissement de biens-fonds». En français on dit « éclaircir une forêt », mais « éclaircir des biens-fonds», dans le sens anglais, ne signifie pas une opération technique d'agronomie; c'est l'ensemble des actes de violence au moyen desquels on se débarrasse et des cultivateurs et de leurs demeures, quand elles se trouvent sur des biens-fonds destinés à passer au régime de la grande culture ou à l'état de pâturage. C'est bien à cela que toutes les méthodes d'expropriation considérées jusqu'ici ont abouti en dernier lieu, et maintenant en Angleterre, là où il n'y a plus de paysans à supprimer, on fait raser, comme nous l'avons vu plus haut, jusqu'aux cottages des salariés agricoles dont la présence déparerait le sol qu’ils cultivent. Mais le « clearing of estates », que nous allons aborder, a pour théâtre propre la contrée de prédilection des romanciers modernes, les Highlands d'Écosse. Là l'opération se distingue par son caractère systématique, par la grandeur de l'échelle sur laquelle elle s'exécute - en Irlande souvent un landlord fit raser plusieurs villages d'un seul coup; mais dans la haute Écosse, il s'agit de superficies aussi étendues que, plus d'une principauté allemande - et par la forme particulière de la propriété escamotée.
Le peuple des Highlands se composait de clans dont chacun possédait en propre le sol sur lequel il s'était établi. Le représentant du clan, son chef ou « grand homme », n'était que le propriétaire titulaire de ce sol, de même que la reine d'Angleterre est propriétaire titulaire du sol national. Lorsque le gouvernement anglais parvint à supprimer définitivement les guerres intestines de ces grands hommes et leurs incursions continuelles dans les plaines limitrophes de la basse Écosse, ils n'abandonnèrent point leur ancien métier de brigand; ils n'en changèrent que la forme. De leur propre autorité ils convertirent leur droit de propriété titulaire en droit de propriété privée, et, ayant trouvé que les gens du clan dont ils n'avaient plus à répandre le sang faisaient obstacle à leurs projets d'enrichissement, ils résolurent de les chasser de vive force. « Un roi d'Angleterre eût pu tout aussi bien prétendre avoir le droit de chasser ses sujets dans la mer », dit le professeur Newman.
On peut suivre les premières phases de cette révolution, qui commence après la dernière levée de boucliers du prétendant, dans les ouvrages de James Anderson et de James Stuart. Celui-ci nous informe qu'à son époque, au dernier tiers du XVIII° siècle, la haute Écosse présentait encore en raccourci un tableau de l'Europe d'il y a quatre cents ans. « La rente [il appelle ainsi à tort le tribut payé au chef de clan] de ces terres est très petite par rapport à leur étendue, mais, si vous la considérez relativement au nombre des bouches que nourrit la ferme, vous trouverez qu'une terre dans les montagnes d'Écosse nourrit peut-être deux fois plus de monde qu'une terre de même valeur dans une province fertile. Il en est de certaines terres comme de certains couvents de moines mendiants : plus il y a de bouches à nourrir, mieux ils vivent ». Lorsque l'on commença, au dernier tiers du XVIII° siècle, à chasser les Gaëls, on leur interdit en même temps l'émigration à l'étranger, afin de les forcer ainsi à affluer à Glasgow et autres villes manufacturières.
Dans ses Observations sur la «Richesse des nations », d'Adam Smith, publiées en 1814, David Buchanan nous donne une idée des progrès faits par le « clearing of estates. » Dans les Highlands, dit-il, le propriétaire foncier, sans égards pour les tenanciers héréditaires (il applique erronément ce mot aux gens du clan qui en possédaient conjointement le sol), offre la terre au plus fort enchérisseur, lequel, s'il est améliorateur (improver), n'a rien de plus pressé que d'introduire un système nouveau. Le sol, parsemé antérieurement de petits paysans, était très peuplé par rapport à son rendement. Le nouveau système de culture perfectionnée et de rentes grossissantes fait obtenir le plus grand produit net avec le moins de frais possible, et dans ce but en se débarrasse des colons devenus désormais inutiles... Rejetés ainsi du sol natal, ceux-ci vont chercher leur subsistance dans les villes manufacturières, etc ». George Ensor dit dans un livre publié en 1818 : les grands d'Écosse ont exproprié des familles comme ils feraient sarcler de mauvaises herbes; ils ont traité des villages et leurs habitants comme les Indiens ivres de vengeance traitent les bêtes féroces et leurs tanières. Un homme est vendu pour une toison de brebis, pour un gigot de mouton et pour moins encore... Lors de l'invasion de la Chine septentrionale, le grand conseil des Mongols discuta s'il ne fallait pas extirper du pays tous les habitants et le convertir en un vaste pâturage. Nombre de landlords écossais ont mis ce dessein à exécution dans leur propre pays, contre leurs propres compatriotes».
Mais à tout seigneur tout honneur. L'initiative la plus mongolique revient à la duchesse de Sutherland. Cette femme, dressée de bonne main, avait à peine pris les rênes de l'administration qu'elle résolut d'avoir recours aux grands moyens et de convertir en pâturage tout le comté, dont la population, grâce à des expériences analogues, mais faites sur une plus petite échelle, se trouvait déjà réduite au chiffre de quinze mille. De 1814 à 1820, ces quinze mille individus, formant environ trois mille familles, furent systématiquement expulsés. Leurs villages furent détruits et brûlés, leurs champs convertis en pâturages. Des soldats anglais, commandés pour prêter main-forte, en vinrent aux prises avec les indigènes. Une vieille femme qui refusait d'abandonner sa hutte périt dans les flammes. C'est ainsi que la noble dame accapara 794.000 acres de terres qui appartenaient au clan de temps immémorial.

Karl Marx: Le Capital - Livre premier; VIII° section; Chapitre XXVII : L’expropriation de la population campagnarde

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